Un mois aux Marquises
.......GALERIE PHOTOS MARQUISES 2014.........
Retour sur le mois d'Avril...
Un mois aux Marquises c'est peu. Nous y étions restés presque deux ans entre 2002 et 2004, puis plusieurs semaines en 2006, 2007,2009.
"Vous êtes revenus…" nous dit-on affectueusement car ainsi sont faites les iles, de petits bouts de coeurs laissés aux gens qui passent et qui pour la plupart ne reviendront pas… Nous allons à Nuku Hiva, Ua Pou et Tahuata, regrettant de ne pas aller à Ua Huka, mais en cette saison avec la houle de Sud Est le mouillage y est impraticable.
Rarement le sentiment ilien est éprouvé aussi fort qu'aux Marquises. Terres les plus éloignées de tout continent , couvertes d'une végétation luxuriante, aux reliefs grandioses qui plongent dans l'océan, ces iles abritent un mélange d’indolence et vitalité qui laissent au voyageur un sentiment d'immortalité. Rien ne change et rien ne dure.
Au milieu des pierres qui parlent d'un passé pas si lointain où les tribus étaient menées par les grands prêtres,
où les tikis veillaient sur les humains,
où les tatouages posaient les repères sociaux,
où les pahus résonnaient dans les vallées,
où la danse et le chant polyphonique racontaient la vie quotidienne, les émotions, les guerres, l’épopée polynésienne…
au milieu de tout cela les villages qu'on appelle ici des " vallées", se modernisent doucement…
Vu de l’extérieur on pourrait se croire dans une fiction mais dés qu’on commence à converser on prend conscience d’une réalité qui nous échappe , qui est pourtant la vie , l’a été et continuera à l’être, celle des 7000 marquisiens éparpillés sur six petites iles au milieu d’ un océan qui, en comparaison, devient virtuel…
Nous retrouvons des amis, on nous parle des vivants et des morts comme des saisons qui n'existent pas, des travaux entrepris comme de ceux abandonnés, des rêves qui ont fait vivre un temps et ne se sont pas réalisés, du festival qui a eu lieu cette année à Ua Huka : grande manifestation culturelle qui rassemble les iles des Marquises, explosion de danses, chants, préparations culinaires, costumes.
A cette joie des retrouvailles se mêle le douloureux sentiment de celui qui sait qu’il ne sait pas. Comme dans la chanson: « On nous cache tout , on nous dit rien…» On sait qu'au-delà des rires il y a des souffrances. Les yeux sombres se voilent parfois de mélancolie…
Pour ce qu'on nous raconte on comprend que l’organisation de la santé est moins bien assurée qu’il y a dix ans. Les médecins sont débordés, les malades sont envoyés sur Tahiti …beaucoup préfèrent se taire et rester chez eux, résignés…
Le grand changement par rapport à il y a cinq ans c'est la propagation du téléphone portable et des tablettes; ça ne fonctionne pas partout, loin de là, mais tout le monde en a ! ça se consomme sans retenue, s'il faut grimper au col pour mieux capter le signal on y monte à cheval. Quand ça ne marche plus ou que le forfait est épuisé on s'en passe, comme on a fait jusque là.…
En attendant les touristes du paquebot Paul Gauguin qui lui achèteront peut-être une sculpture ou un collier de graines, cette Mamie joue aux cartes sur sa tablette…
« Ici nous avons la pluie du ciel et la pluie de la France...mais il ne faut pas toujours attendre la pluie » avions-nous un jour entendu dire par un élu. Il est réconfortant de voir plus de jeunes qui ont choisi de rester aux Marquises; c’était différent il y a quelques années, pour beaucoup le paradis se situait à Tahiti à défaut de Los Angeles. Maintenant on nous dit : « Si tu as un peu de terre, entre le faapu et les petits boulots tu t'en sors …C’est dur mais on vit… » Ces propos méritent d’être relativisés bien sûr, tout le monde n’ayant pas la chance d’avoir de la terre et la santé pour l’exploiter…Le faapu c’est le champ, le potager où on récolte les bananes, les mangues, papayes, citrons, pamplemousses, où on plante du tarot, des ananas, éventuellement des légumes moins exotiques comme les courgettes et les tomates…
Le prix du coprah, qui est subventionné, ayant été rehaussé cela est devenu l'activité principale, l'agriculture et la pêche étant plus une activité de subsistance;
A quelques exceptions près bien sûr: à Anaho, dans la baie d'Atuata, Moana et Catherine cultivent tomates, aubergines, poivrons, papayes etc…qu'ils emmènent à dos de cheval et livrent chaque samedi à Taioahe;
Nous avions connu leurs parents déjà installés là. Même bonheur et fierté de vivre avec son ile. Leur petit fils a pris le relais de sa Maman, Philomène, au jeu d’échecs…
Artistes dans l’âme, toujours attentifs à la beauté des choses, les marquisiens sculptent la pierre, l’os, le bois, ils tatouent leur corps avec exhubérance et finesse. Les meilleurs sculpteurs travaillent à longueur d’année et sur commande.
A Taiohae , la grande baie de Nuku Hiva,
Henri a ouvert un snack qui ne désemplit pas: jus de pamplemousse frais et kai kai ( nourriture ) marquisien tous les jours, ou coca et steak frites pour ceux qui préfèrent…Non seulement Henri est accueillant comme seuls savent l'être les Marquisiens, mais en plus il offre un accés internet gratuit, ce qui est un cadeau inestimable pour les voiliers. Bonne ambiance autour de son snack avec aussi bien les navigateurs que les locaux.
A Hakahui nous nous régalons une fois de plus à faire la balade à la cascade, même sous une pluie torrentielle,
et nous retrouvons avec plaisir quelques habitants connus auparavant : Richard, Augustin, Misele, les « gardiens de la vallée » comme ils se nomment eux-mêmes. Chasseurs, sculpteurs, ils ont choisi de vivre dans cette vallée envers et contre toutes les facilités de la vie moderne. Ils se disent « guerriers » alors que seule de la douceur émane de leurs yeux…
Femmes et enfants vivent à Taiohae, viennent pour le week end ou les vacances…
Titin nous raconte son voyage en France l’été dernier, Misele qui vit maintenant sur le plateau de Tovi est venu participer à la construction d’une future pension, Paul ex cuisinier dans un hotel de Bora est revenu sur les terres familiales, il défriche, plante, relève la maison en ruines avec enthousiasme : « Ici c’est la vraie vie… »
Teiki entretient son faapu et conduit les touristes à la découverte de la vallée…
Nous quittons Hakaui chargés de fruits, avec même un cuissot de chèvre à cuisiner. Il va falloir faire au moins aussi bon que ce que Jean Yves et les " guerriers" nous ont fait déguster!
A Ua Pou, Hakahau, nous retrouvons Toti Claire Déborah Maté Patrice Jacques Pascal et d’autres … tous affairés aux prochaines élections, Rataro qui a développé l’apprentissage du vaa à l’école ;
Emile qui sculpte moins et se consacre au faapu…
La grande affaire qui donne un avenir aux Marquises c’est l’inscription au patrimoine culturel de l’Unesco , à laquelle vient de s’ajouter l’inscription des eaux marquisiennes au patrimoine naturel …La demande remonte à plusieurs années déjà mais il semble que c’est en bonne voie d’obtention, les délégations d’experts se succèdent, les voyages à NewYork aussi ; cette inscription a pour but de garantir une protection aux iles Marquises contre les ""requins de Papeete ou de Pékin…
Nous allons ensuite vers l'lle de Tahuata, le mouillage d'Hanamoena , puis Vaitahu et Hapatoni. Il y a dix bateaux quand nous arrivons, ils partent tous le lendemain..chargés de fruits offerts par les habitants. Les marquisiens sont d'une générosité extraordinaire. Comment dit-on merci en marquisien?
Le mot est.« koù taù »
D'après Edgar, éminent linguiste natif de Vaitahu, il n'y avait pas de mot dans la langue marquisienne pour dire merci: le partage, la distribution des biens, étant le lien même des gens entre eux, celui qui déroge à la règle s'exclut ... Le mot « koù taù », qui exprime la satisfaction, a été proposé il y a une vingtaine d'années...et ne fait pas encore l'unanimité d'une ile à l'autre.
Ces précisions sémantiques mises à part, la générosité marquisienne, qu'elle vienne du coeur ou d'un fait culturel, touche profondément ceux qui viennent aux Marquises...Elle est unique, elle ne s'oublie pas...
A Vaitahu nous retrouvons la grande famille Timau, si chaleureuse…
ainsi qu’ Armand, les sculpteurs d’Hapatoni, et les méduses qui avaient failli être fatales à Féli .
On ressort la photo de Papaou et Mamaou qui nous avaient inspirés au moment de choisir comment se faire appeler par nos petits enfants.
Papaou n’est plus là, Louis nous raconte qu’il est mort sur l’ile, mais qu’avant de partir il a voulu faire la traversée jusqu’à Hiva Hoa pour revoir ses deux filles qui vivent à Atuona. Il est mort sur le trajet du retour, ses fils l’ont porté jusqu’à la maison .
Mamaou est plus que jamais présente sur sa terrasse ombragée.
C’est elle qui pilote tout, enfants, petits enfants, voisins, visiteurs…Toute émue de nous revoir elle envoie vite sa fille Imelda ressortir les photos des années passées que je lui avais offertes et qu’elle conserve dans une malle en fer recouverte d’un tissus paréo; certaines sont accrochées au mur, on y voit Papaou cassant le coprah, ce qu’il a fait toute sa vie pour nourrir sa famille. Comme beaucoup il est parti quelques mois travailler pour le CEP, Centre d’expérimentation de Polynésie, à Mururoa ; en son absence Louis l’ainé alors âgé d’une dizaine d’années assurait la pêche et le coprah. Mamaou avait quinze ans lorsqu’elle a épousé Papaou, ses fils eux mêmes disent qu’elle était très belle, ils ont eu dix enfants dont sept vivent à Vaitahu autour d’elle, deux à Atuona, l’ile voisine et un à Tahiti.
Mamaou me fait asseoir à côté d’elle et sort de son sac qui ne la quitte pas un flacon de monoï. Elle me le fourre dans les mains en me gratifiant d’un merveilleux sourire accompagné d’un « hèèè..hèèè… » qui exprime son contentement. Mamaou ne parle que marquisien, elle comprend très bien le français mais nos conversations passent par les yeux et les mains. Elle me caresse le bras avec un sourire malicieux, sa fille m’explique que le monoï kumuhei qu’elle m’a offert est un monoi particulièrement fin, qu’elle fait en pressant la pulpe de coco germé et qu’elle parfume avec un mélange d’herbes dites aphrodisiaques. Me voilà donc initiée et bien pourvue ! Rémi reçoit une couronne de copeaux de santal, ça fait éternuer mais c’est pour la bonne cause. Pas vraiment puisque le santal presque disparu des iles dont il a fait la renommée est protégé maintenant, interdit à la coupe sauf en bois mort. Mamaou a ses adresses dans quelque coin reculé de Tahuata!
J’ai du mal à photographer le sourire de Mamaou, elle le cache coquettement devant l’objectif car il n’y a plus qu’une dent.
Quand sa fille lui explique que nos petits enfants nous appelent Papaou et Mamaou elle explose de rire avec un « hèèè..Mamaou farany…Papaou farany…hèèè… , ça lui plait beaucoup ! farany signifie « français de métropole», pour les marquisiens, à Tahiti on dit "popa" . Un peu plus tard je m’entendrai appeler « Mamaou haoé », haoé étant l’étranger blanc…
Chez Marguerite c’est Jimmy qui a repris courageusement la tête de la famille après la mort prématurée de son père.Il nous invite gentiment à déjeuner
Marguerite devant être évasanée Jimmy vend des plats préparés pour recueillir des fonds qui lui permettront de mieux vivre ce séjour en France qui l’angoisse beaucoup.
J’ai remis un CD de photos des années précédentes. A l’ombre du grand tou ( prononcer « to-ou ») dont le bois est souvent utilisé par les sculpteurs, Hina a installé un poste de télé : le soir il passe des films. Là ce sont mes photos qui défilent en boucle, les passants s’arrêtent, nomment untel, untel , tel endroit…comme dans les temps anciens lorsque les récitants égrenaient la généalogie, mémoire vivante qui devient racine…Il n’y a que pour les parties de bingo , où Mamaou ne manque jamais de participer, que la télé est éteinte : il faut se concentrer…
Ces scènes me rappelent une fois où j’étais à Paris, dans un hotel pour les évasanés , c’est à dire ceux qui ont été envoyés en France pour soins médicaux ..Un soir, comme l’ambiance était triste parmi tous les malades et leurs accompagnants j’ai mis sur mon ordinateur un diaporama de photos des iles. Petit à petit les pensionnaires lâchaient la télé ou leur partie de cartes, ils venaient regarder les photos ; le joueur d’ukulélé aussi, tout en continuant à jouer ; les autres s’exclamaient « hè, c’est ma cousine !..hè là c’est chez moi.. et ça, c’est où ? … » « Le lendemain matin au petit déjeuner chacun venait me voir : « Merci pour les photos hier soir…c’est comme si on était au fenua.. »
Sous l’eau aux Marquises c’est un peu comme à terre, un monde riche et généreux qui ne se dévoile pas si souvent. On apprécie encore plus quand cela arrive...