TE FETIA AVEIA
« Te Feti’a Avei’a », « L’étoile guide », un spectacle de danse du groupe O Tahiti E dans le très beau site du Marae Aruharuha à Paea. J’aime beaucoup ce que fait ce groupe mené par Marguerite Lai, le décor est magnifique, et nous sommes particulièrement motivés car deux des meilleurs danseurs sont des enfants de nos amis, nous les avons connus tout jeunes, c’est un bonheur de les voir là…
Poe, de père tahitien et mère popa, est institutrice, elle a été candidate au titre de meilleure danseuse de Tahiti en 2009, elle crée des chorégraphies pour le groupe…Abel, 20ans, de parents tahitiens, travaille en comptabilité,il a intégré le groupe il y a deux ans.… 200 artistes participent au spectacle, 100 chanteurs les accompagnent.. Il faut savoir que tout ce monde est amateur, la danse est une passion qui inonde leur vie mais ne les nourrit pas .
Nous allons donc à Paea. Lisette nous a prêté une voiture, cadeau bien appréciable à Tahiti. Maururu, Lilou !
Cette dernière représentation d’un spectacle commandé par le Ministère de la Culture, étonne au premier abord par un côté « débridé ». Habitués aux alignements parfaits du Heiva sur la scène de Tohata, on sent là, autour d’un récit construit, une explosion de joie et de liberté communicative: le pur bonheur de danser, partager sa culture, sans la tension des concours, et malgré le sol caillouteux …
L’histoire est simple à suivre : Pa’ao, second fils de l’arii Tuera’i doit quitter la terre natale et fonder une nouvelle société ma’ohi sur une ile dont on soupçonne l’existence mais qui reste à découvrir.
Les costumes évoquent tantôt la mer tantôt la terre, les choeurs accompagnent le récit.
On voit les charpentiers qui se mettent à construire la pirogue double après avoir laissé leurs herminettes « se reposer » une nuit sur le marae, selon le rite ancestral, et demandé pardon à la nature pour les arbres abattus.
Les danseuses fêtent les artisans.
Le grand prêtre met sous une pierre du marae la corde à présages qui permettra de vérifier le sort des navigateurs.
La population participe à la préparation du voyage en amenant des plantes et des animaux, en invoquant les bons vents…
Le départ approche, et le temps des adieux aux parents : le père remet à son fils cadet le cordon qui le relie à ses ancêtres, chaque nœud représente un élément de la généalogie, Pa’ao devra le transmettre à ses enfants. . .
La pirogue est prête, on hisse les voiles.
Les premiers jours de navigation sont paisibles, guidés par l’étoile Faupapa, Sirius, dont la pirogue a pris le nom. L’équipage se laisse bercer par la mer et les chants .
Puis les étoiles quittent le ciel, la tempête arrive, la pirogue dérive, la nourriture se gâte, l’équipage connaît la peur et la faim…
Quand enfin la mer se calme et l’étoile guide réapparait, les navigateurs scrutent l’horizon à la recherche de l’ile, observant les oiseaux, les nuages, les débris sur l’eau…tout ce qui permet de détecter la présence d’une terre.
Enfin ils voient l’ile, sous un nuage que retiennent les montagnes, c’est la joie à bord…
Pa’ao doit fonder la nouvelle société ma’ohi à l’identique de celle dont il est issu, il va déposer à terre la pierre qu’il avait prélevée sur le marae de son ile d’origine pour fonder le nouveau marae…
La vie à terre avec les fruits et les animaux peut commencer, ainsi que la construction d’un nouveau marae.
Pa’ao est intronisé nouveau arii , son épouse est couronnée
Sur l’ile d’origine le grand prêtre soulève la dalle du marae : le cordon est toujours là, Pa’ao a réussi son voyage, les dieux peuvent regagner leur domaine et le marae se reposer…
Combien de fois cette histoire s’est répétée dans l’épopée du peuple polynésien ?
Les connaissances en navigation des Polynésiens n’ont pas fini d’étonner ...
Lorsque Cook passe à Tahiti en 1769, après Wallis et Bougainville, il embarque à son bord un prince de Raiatea, Tupa’ia, qui va guider l’expédition jusqu’en Nouvelle Zélande, puis le long des côtes australiennes jusqu’à l’ile de Java. L’Histoire n’a pas retenu le nom de Tuapa’ia car toute la gloire devait revenir à l’Angleterre mais les récits des officiers de l’Endeavour laissent voir l’importance du rôle qu’il a joué : à la fois comme navigateur avisé , il guide les Européens parmi ces centaines d’iles qu’il semble connaître, et comme interprète auprès des populations ma’ohi qui parlent la même langue qu’à Tahiti et reconnaissent en lui un prince ambassadeur de la mère-patrie. C’est en effet de Raiatea, l’ile sacrée, au grand marae de Taputapuateha, qu’étaient partis 2000 ans auparavant les explorateurs ma’ohi pour essaimer dans ce qu’on appelle le triangle polynésien ( Nouvelle Zélande, Hawai, Ile de Pâques)…
Tout au long du voyage à bord de l’Endeavour Tupaia est capable d’indiquer précisément la direction de l’ile de Tahiti. Il connaît les astres, et « utilisant des méthodes de navigation astronomique directe, par arc de grand cercle, il se place de facto sur la route maritime la plus courte d’un point à un autre, appelée orthodromie, évitant ainsi, sur les longs trajets, les inconvénients des tracés loxodromiques du système carthographique occidental ». Il établit une liaison directe et unique entre l’image du ciel à un moment précis et l’azimut d’une ile située à des milliers de miles de là.
Mais le Polynésien ne dévoile pas toutes ses connaissances aux Anglais. On imagine qu’en embarquant avec eux il a cherché à mieux cerner ces étrangers et leurs intentions sur l’océan de son peuple, et peut être aussi aller jusqu’à leur terre d’origine, l’Europe…. Après un peu plus d’un an de navigation Tupa’ia meurt à Jakarta de scorbut et malaria…