D'HOKKAIDO AUX PREMIERES ILES ALEOUTIENNES
.....Position.... ..Album photos .......
Hésitation au moment de quitter Kushiro, une dépression pointe son nez. Elle va finalement nous apporter le vent qui nous emmènera jusqu'aux Aléoutiennes. Visibilité nulle, brume et bruine, pluie, orage, 24 heures au ralenti le long des îles Kouriles pour laisser cette dépression passer devant et ensuite s'accrocher derrière elle pour garder le vent …
Vent Nord Est 25 noeuds, rarement plus, Kauana file dans une mer dure, à la même vitesse que la dépression. Un brouillard impénétrable nous glace jusqu’au fond des os. Quand le ciel se déchire pour laisser la place à quelques rayons de soleil on se sent vraiment privilégiés d'être là, à cet endroit à ce moment.
Cela ne dure pas et nous arrivons aux iles Aléoutiennes dans le brouillard; 1500 miles, dix jours de navigation, il nous faut mettre le moteur le dernier jour pour atteindre une zone abritée sur Amchitka avant la nouvelle dépression.
Pas de vent, courant contre, l'approche est longue, une côte noire se découvre dans les nuages.
Sur l’eau des milliers d'oiseaux posés en groupe, pétrels, albatros, macareux huppés, puffins, qui détalent dés que nous approchons.
Des paquets de kelp dérivent à la surface, cette algue longue et dure comme du cordage arrachée aux côtes froides.
Des orques, bien plus gros que ce que nous avons jamais vu, montrent le bout de leur aileron, des baleines ….
Falaises abruptes et plages de sable noir…
Les îles Aléoutiennes s’étalent sur 1900 kilomètres entre la péninsule d’Alaska et le Kamchatka; en haut au bord de la carte elles ferment le doux Pacifique, contrôlant le passage vers la froide Mer de Bering par des passes aux courants dangereux; zone d’affrontement des deux systèmes météorologiques elles sont connues comme le pays où naissent les plus fortes tempêtes , dans la pluie et le brouillard épais. Et c’est là que nous sommes? Pour en rajouter un peu: nous sommes aussi sur la ceinture de feu du Pacifique, 57 volcans et des tremblements de terre fréquents ….
Amchitka, base d'essais nucléaires américains abandonnée depuis une trentaine d’années. C’est pour empêcher ces essais nucléaires sur Amchitka que la fondation Greenpeace, toute nouvellement créée à Vancouver en 1971, a lancé sa première opération maritime.
Grande baie ouverte au Nord Est, mais bon fond de sable où l’ancre se plante sans problème.
Quel bonheur d’être arrivés et poser simplement les yeux sur le paysage… L’endroit n’est pas vraiment hospitalier, le vent ne nous permet pas de débarquer au ponton encore en état, mais nous pouvons enfin mettre le chauffage à bord, ce qui est bien agréable , car dehors il fait entre 5° la nuit et 10° le jour .
Nous sommes surveillés: phoques sortant leur tête du kelp, aigles perchés sur la falaise...
Quarante huit heures après nous arrive Jennifer, un voilier suédois parti en même temps que nous de Kuchiro; ils sont six à bord; ayant pris l’option de monter Nord le long des Kouriles au passage de la première dépression ils ont perdu le vent et fait beaucoup de moteur.
Nous continuons vers l'île Adak, une autre dépression approche, plus méchante celle-là, une vraie tempête, une « slachxidaasaadagûlux » comme on dit en Aléoutien, que nous laisserons passer bien à l'abri à Three Arms Bay.
Nous retrouvons là Bannister et Sunstone quittés à Hakkodate: arrivés depuis trois jours ils partent s'abriter au port d'Adak au Nord de l'ile.
Nous sommes donc là dans ce décor dramatique à souhait, le vent souffle à plus de 50 noeuds, le bateau bien ancré dans de la boue, tourne sous l'effet des williwaws, les phoques et les aigles tournent autour du bateau. Le poêle ronronne, ronfle même avec les rafales.
Dés que ça souffle un peu moins nous filons à terre pour des grandes balades dans la toundra .
Pas un arbre, de l'herbe à peine libérée de la neige et déjà couchée par le vent,
Des cascades et des lacs,
Nous suivons joyeusement les sentiers de caribous , ravis de fouler les tapis de mousse gorgée d'eau, d'enjamber les ruisseaux qui découpent ces immenses espaces ;
Les caribous, qui ne sont pas les caribous sauvages mais leurs cousins les reindeers, ne sont pas originaires de cette ile, ils ont été introduits par l'armée US pour distraire et nourrir les soldats.
Un rayon de soleil suffit à transformer ce paysage désolé en prairie pour les vacances de Heidi, un vert indécent parsemé de lupins bleus, boutons d’or et lys chocolat.
A l’autre extrémité de la baie un camp de chercheurs en archéologie est installé pour quelques semaines;
ils viennent d’arriver et organisent un champ de fouilles pour mettre à jour ce qu’ils supposent être un village Aléoute, un village sur la colline, éloigné de la côte. Ceci est inhabituel, les Aléoutes étant avant tout un peuple de la mer, vivant des seules ressources de la mer.
Au passage nous apprenons qu’il y a eu un tremblement de terre de magnitude 7.4 , l’épicentre étant dans la passe d’Amutka à 200 kilomètres. Au mouillage Rémi a bien senti quelque chose de bizarre, moi rien, le vent suffit déjà à faire trembler le bateau en permanence. Les campeurs ont eu quelques frayeurs.
Les habitants des iles Aléoutiennes, dont on situe les premières traces à 8000 ans, s’appelaient les « Unangax », « gens des passes ».
Pour survivre dans un univers aussi hostile ils avaient développé une grande habileté marine alliée à une connaissance des élémentsnaturels et des techniques de chasse.Vêtus de boyaux de baleines, ils circulaient sur des kayaks, appelés "iqyax" et faits de bois flottés, os de baleines et peaux de phoque. L’homme vivait sur son kayak , mourrait avec lui en mer ou était enterré avec lui. Algues, oiseaux de mer et leurs oeufs, phoques, loutres, baleines, poissons, coquillages, bois flottés … Jamais peuple n’a su aussi bien exploiter la mer. Ils n’avaient pas le choix.
Vers l’an 1740 l'amiral Béring et Kirikof chargés par le tsar d’explorer les zones à l’Est du Kamchatka furent les premiers occidentaux à apercevoir les iles Aléoutiennes; ils ramenèrent une grande richesse: des fourrures de phoque et de loutre, aussi soyeuses que la zibeline très prisée à la cour. Remarquant l’habileté des Unangax, qu’ils nommèrent les « Aleuts », les russes trouvèrent vite à les réduire en esclavage pour chasser le phoque; la loutre de mer, qui a quelques centaines de poils de plus au centimètre carré , était encore plus recherchée .Cela a duré une centaine d’années, l’église orthodoxe tenta d’adoucir les méfaits de cette colonisation. En vain , de 15 000 personnes la population Aléoute fut réduite à 5 000. En 1867 la Russie ayant vendu l’Alaska aux Etats Unis, les Unangans se trouvèrent classés « indiens ». La chasse aux loutres dura jusqu’en 1911, puis fut interdite. Pour survivre les Unangans s’embauchaient dans les élevages de renard.
La seconde guerre mondiale vint tout chambouler. Depuis quelques années déjà les japonais s’intéressaient aux iles Aléoutiennes; en Juin 1942 ils débarquèrent à Attu, l’ile la plus à l’Ouest, faisant prisonniers les 42 habitants. En réponse à cette agression les Américains décidèrent d’évacuer toutes les îles; arrachés du jour au lendemain à leurs territoires les Aléoutes vécurent très durement cette mesure de protection forcée; parqués dans des camps ils ne sont revenus chez eux que deux ans plus tard, pour trouver leurs îles dévastées, leurs maisons pillées. Pendant ces deux années japonais et américains s’étaient affrontés à Dutch Harbour, Adak, Kiska, Amchitka, Attu ….
Après la guerre les survivants parmi ceux qui étaient restés prisonniers au Japon ou «évacués» aux USA, comptaient retourner chacun dans son île; mais les autorités américaines avaient décidé de ne conserver que quatre communautés Aléoutes: nouveau coup dur pour ce petit peuple déjà bien maltraité. Une nouvelle bataille commença alors, pour obtenir la restitution de leurs territoires. En 1988 la loi fut signée, reconnaissant aux Aléoutes le droit de gérer eux mêmes leurs îles, avec les excuses du Congrés au nom du peuple américain et un principe d’indemnisation. Actuellement une ressource essentielle de ces îles est constituée par les droits de pêche qu’elles perçoivent. Leurs eaux sont riches en saumon, halibut , morue et king crab.
D’Adak à Dutch Harbour
Pour gagner la « ville » d’Adak, dans la baie de Sweeper Coves, nous passons côté Mer de Bering.
Nous avons cinq noeuds de courant contre dans la passe d’Adak. En approchant les falaises du Mont Moffet , 2000 mètres, nous nous laissons surprendre toutes voiles dehors par des rafales à 50 noeuds; à peine le temps de rouler le génois nous filons vent arrière à 13 noeuds, grand voile entière, pas top fiers quand même!
Arrivés à Adak nous sommes accueillis par une charmante Harbour Master, Elain. Nous étions un peu inquiets, la loi prévoyant de ne pas mettre pied à terre avant d’avoir fait son entrée officielle dans un pays auprès d’un bureau de douane et immigration habilité, ce qui veut dire pour nous à Dutch Harbour, notre prochaine escale.
Elain se marre: «Relax, men, you are in Adak, Aleutian island». Seule représentante de l’autorité dans cette communauté de 90 personnes, 120 personnes à la saison de la chasse, elle se charge d’enregistrer notre signalement, la situation devant être régularisée ultérieurement auprès des douanes de Dutch Harbour. On peut avoir de l’eau et du carburant.
Ville fantôme, construite par l’armée américaine dans les années 50, une maison sur quatre est habitée, les parties communes, mairie, école etc., trois fois trop grandes pour le nombre d’habitants, sont laissées à l’abandon, à l’exception d’une ou deux pièces.
Elain Smirlof est «Unangan», née à Kodiak. Elle nous parle des nombreux bateaux de pêche qui font escale, de la pêche au halibut et au saumon, des « birdwatchers » qui viennent observer les oiseaux de mer nichant dans les falaises escarpées, des chasseurs de reideers …En hiver les reindeers viennent sur cette partie Nord de l’ile, sur la neige ils se voient plus facilement, ils viennent parfois même en ville et on peut les tirer de la voiture ….chacun ses goûts!
Nous repartons vers Dutch Harbour, par le Nord également, côté Mer de Bering, avec une belle brise .
Très vite le brouillard s’impose , ne nous laissant que rarement apercevoir une côte escarpée aux volcans-glaciers qui descendent jusqu’à la mer .
Un matin au lever du jour, j’étais dans le cockpit à border le génois quand soudain j’entend un souffle tout près: une immense baleine aussi longue que Kauana passe. A droite à gauche il y en a partout, un vrai troupeau. J’appelle Rémi qui les identifie tout de suite comme des rorquals. Spectacle impressionnant!