LES CHAGOS
Partis d’Addu, le dernier atoll au Sud des Maldives, nous sommes en vue des Chagos deux jours après. Avec un bon vent d'Ouest-Sud-Ouest, Kauana nous l’a joué grand coursier des mers, bondissant sur les vagues avec avec une joyeuse moustache à l’étrave. Un régal !
Le rêve ne dure pas ! En arrivant devant la passe de l’atoll Salomon, « bip bip» : un message du BIOT, British Indian Ocean Territories, l’autorité qui assure la surveillance de l’archipel et délivre les permis d’y séjourner : « Vous n’avez pas le droit de mettre votre ancre dans ce territoire, votre permis démarre le 22 Avril , faites demi-tour ! »...On est le 20..Menace d’amende faramineuse, de prison, de saisie du bateau si on enfreint l’interdiction ! Nous insistons, d’autant plus sereins que nous avions demandé à avancer la date de nôtre permis, mais les lenteurs administratives nous avaient privés d’une réponse..rien à faire, la loi c’est la loi ! Se faire verbaliser au milieu de l’Océan Indien pour une erreur de stationnement, ce serait un comble ! Nous obtempérons et passons une nuit en mer au large des iles..en ayant pris soin de débrancher notre AIS. Le patrouilleur n’est pas du tout sur place , mais nous avions été repérés à l’AIS...erreur fatale!
Pourquoi une telle autorité sur ces atolls du milieu de l’Océan Indien ? Il faut reprendre l’histoire des Chagos : au XVIII° siècle , les Chagos étaient administrés par l’ile Maurice alors colonisée par les français...d’où un certain nombre de noms de lieux en français. En 1814 Maurice devient colonie britannique, les Chagos avec.. On y établit des plantations de cocos , une usine à extraire l’huile de coprah. Un beau livre, Rivage de la colère, raconte le drame des chagossiens lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968 ; dans la négociation l’archipel des Chagos a été abandonné aux britanniques qui avaient projet d’y établir une base militaire anglo-américaine sur le principal atoll, Diego Garcia. La population a tout simplement été évacuée, d’abord avec hypocrisie , « Vas rendre visite à ta cousine à Maurice..vas chez le docteur à Maurice .._ ah ben , il n’y a plus de bateau pour rentrer dans ton ile ... » , puis par la force pour les derniers. La plate forme militaire américaine est inapprochable, les autres atolls sont des territoires inhabités contrôlés par les britanniques qui en ont fait une réserve naturelle interdite d’accés, sauf avec permis de séjour limité. Il est probable que cela va changer car les chagossiens ont obtenu la reconnaissance internationale de leur expulsion: en 2019 la Cour Internationale de Justice a déclaré l’occupation britannique illégale et des accords se négocient actuellement entre le gouvernement mauritien, les anglais et les américains sur la gestion à venir des Chagos.
Sur l’ile Boddam dans l’atoll Salomon : les ruines d’un village abandonné. Les crabes de cocotiers y ont élu domicile.
Avant que ces ilots ne soient totalement interdits ou livrés à tous les trafics imaginables, nous y passons quelques jours seuls, entre les fous à pieds rouges, les frégates, les raies et les tortues. Une merveille de la nature qui rassure sur sa capacité à se régénérer après moins d’un demi-siècle de mise au repos...Oiseaux et poissons, se laissent approcher sans crainte, c’est très émouvant..
Les gigis qui couvent leur oeuf sur une branche :
Les noddis bruns qui viennent à notre rencontre quand on approche des iles :
Les fous à pattes rouges nichent partout, de vrais HLM dans les arbres:
Sous l'eau c'est une merveille, l'eau est claire, poissonneuse, et le corail est vivant, on retrouve tous les poissons connus dans le Pacifique.
Quatre autres voiliers arrivent , c’est la saison, vie sociale active ! Avant que le BIOT mette des restrictions, certains navigateurs passaient des mois aux Chagos, une petite communauté se créait chaque année …
Nous partons vers les Seychelles avec des cartes météo qui nous amènent à faire une route assez Sud pour trouver le vent de Sud Est...Du vent, des grains , puis pas de vent ou très peu, de l’arrière... On croise un cargo tous les deux jours, les fous nous accompagnent jusqu’à mi-chemin. La nuit, attirés par nos feux de navigation, ils cherchent à se poser sur le mât. Un soir un fou avait trouvé à se caler sur la boite des feux, ça faisait des effets lumineux rouge , vert, blanc en tête de mât, ses copains ont rappliqué, essayé de tenir en équilibre sur la girouette, la windex et les antennes en poussant des cris rauques, c’était la fête là-haut! Craignant pour nos antennes j’ai essayé de les éblouir avec un phare . Ils ont adoré ! Ça faisait laser dans une rave, le top ! Au lever du jour une bonne pluie est venue nettoyer le pont des déchets de cette nuit de folie ...