STEWART ISLAND
Kauana file toute la nuit. Avec une coque bien propre suite à son passage dans l’eau douce des fjords, et une brise d’Ouest plus forte qu’annoncée nous allons trop vite …C’est classique, il nous faut ralentir pour approcher de jour le Sud de l’ile Stewart.
Au petit matin nous sommes à l’abri sous la côte Sud Est, l’ile apparaît telle qu’ont du l’apercevoir les premiers explorateurs. C’étaient les Maoris qui depuis le XIII° siècle, venaient y chercher les poussins de puffins, un mets de choix, et l’avaient nommée « Rakiura », l’ile au « ciel flamboyant ». Puis vinrent les chasseurs de phoque et les baleiniers. Dans la légende maorie, avec son gros hameçon le demi-dieu Maui a remonté du fond de l’océan l’ile du Nord. Sa pirogue était alors l’ile du Sud, tandis que Stewart était son ancre. Cook la rattachait à l’ile du Sud, n’ayant pas trouvé le détroit de Foveaux qui les séparent.
Dédale d’ilôts aux reliefs bas, végétation dense d’où émergent des blocs de granit, ciel aux tourments venus de loin, on pense à la Bretagne, l’Irlande…
Nous nous dirigeons vers le Sud de la grande baie de Pegasus, Peacefull Haven.
Ancrés dans un écrin de verdure aux eaux turquoises, amarrés sur une grande aussière en travers de la crique, nous voici parés pour la prochaine roue de bicyclette qui se dessine sur les cartes météo.
C’est le pays de cocagne! On cueille des moules et des huîtres comme dans un jardin. On ramasse des coquilles Saint Jacques dans le sable par deux mètres de fond, certaines grosses comme une coupe, toutes coraillées…
Ces huîtres, dites les huîtres de Bluff, dont la pêche se fait dans le détroit de Foveaux, ressemblent aux belons de Bretagne. Un peu moins plates peut-être mais tout aussi savoureuses. Très prisées en Nouvelle Zélande elles s’achètent hors coquille, dans des petits sachets ou pots peu appétissants.
Un court passage en sous-bois nous amène vers une plage ouverte sur le large.
Du kelp, des traces de biche sur le sable, des otaries qu’il faut repousser avec un bâton… Elles ne semblent pas apprécier les intrus.
De ce côté l’eau est plus claire qu’à l’intérieur de Pegasus : il doit y avoir des ormeaux dans ce kelp!
En effet il y en a, ils sont énormes!
Avec une coquille magnifique et une chair noire, ça ressemble à du pneu mais une fois écrasé au maillet c’est délicieux. Les kiwis les appellent Paua, ailleurs on dit les Abalones. Une pensée pour un sacré breton qui nous avait appris à voir les ormeaux dans les laminaires des Côtes d’Armor !
Les jours coulent tranquilles à Pegasus. Un voilier arrive, le deuxième que nous rencontrons depuis notre départ de Nelson.
Jane et John, des tour-du-mondistes néozélandais maintenant installés à Wellington. Nous voici repartis avec eux sur la côte turque et la Méditerranée où ils ont passé plusieurs années…
Puis le temps change, ça souffle à plus de cinquante nœuds autour de Stewart. Notre jolie plage est balayée par la houle, les otaries font des galipettes dans les rouleaux, il n’est plus question de se mettre à l’eau pour des ormeaux.
Côté mouillage c’est le grand calme.
Les blue-cod s’invitent à nos festins: pas farouches, plutôt suicidaires. Je les photographie, Rémi les pêche…No comment!
Joli spectacle que nous offre la nature: au détour d’une pointe rocheuse on aperçoit un huitrier-pie avec ses poussins. Pour être moins visible, vite il enfouit son long bec rouge sous son aile, tandis que les petits se cachent dans une anfractuosité de la roche.
Il faut dire que cette variété d’huitrier-pie a un bec particulièrement long.
Passage éclair d’un bateau de pêche, en quelques heures un plongeur ramène des sacs de concombres de mer.
La baie de Pegasus est grande comme le golfe du Morbihan, pleine d’ilots et criques abritées. Nous profitons d’une accalmie pour sortir de notre paradis et explorer d’autres mouillages.
Evening Cove, plus austère. Il pleut, il vente, le ciel est balayé en permanence, on n’entend pas un oiseau.
Entre deux grains nous grimpons au-dessus du mouillage. Pas de chemin, à nous de laisser des marques pour ne pas se perdre. Crêtes dégagées, couvertes de fougères et manuka, c’est le royaume des daims, on voit leurs traces partout.
Il y a eu dans Pegasus, à la fin du XIX° siècle, une tentative de chantier naval dont les historiens n’ont pas déterminé l’emplacement, également une tentative de mine… Depuis des années un projet d’élevage de saumons essaye de voir le jour, sans succès, les iliens s’y opposent. A part quelques refuges pour chasseurs, Pegasus reste sauvage et inhabitée.
C’est dans cette baie que le navigateur français Yves Parlier s’était arrêté pour réparer son mât pendant la course autour du monde de 2001, sans aucune aide pour ne pas être disqualifié. Une sacrée prouesse!
Dans le joli mouillage de Water Lily nous retrouvons Jane et John.
Source d’eau fraiche aux couleurs de la tourbe, chatoiements du kelp, bois échoués qu’un rayon de soleil ressuscite :
La végétation est trop touffue pour se balader à terre, la nuit on entend les kiwis sur la plage ; pas moyen de les voir mais ils sont là.
Dédale de petits fjords et baies cachées qu’on explore en annexe ou kayak, les branches d’arbres touchent le kelp, le grand large est tout près...
Ici les otaries règnent. Les requins s’en nourrissent.
A terre on se méfie d’elles, mais sur l’eau elles jouent autour de nous comme des dauphins.
Gita passe, c’est le troisième cyclone sur la Nouvelle Zélande depuis le début de l’année. Jane et John n’ont jamais vu ça.
Beau temps pour remonter la côte de Stewart, nous quittons Pegasus; faible brise d’arrière, une forte houle laissée par Gita, presque deux nœuds de courant de marée avec nous. Retrouvailles avec les albatros nos « indolents compagnons de voyage...rois de l’azur… «
On longe une côte découpée, et bien chahutée :
Le « black rock », ilot remarquable :
Une échancrure dans la côte, Lord River, aux abords tumultueux :
Une fois entrés dans la rivière c’est le grand calme, nous allons vers un mouillage totalement protégé, Nook, les premières rafales du prochain coup de vent se font déjà sentir :
Entrant loin en terre cette rivière offre plusieurs mouillages. Nous remontons en annexe jusqu’à la cascade, passons un moment avec des chasseurs dans un refuge, ils nous offrent des pauas; ce sont finalement les rencontres que nous faisons le plus fréquemment, les chasseurs de daims. Ceux-là ont loué un bateau et réservé le refuge pour une semaine, une société de location de Bluff amène quatre ou cinq bateaux par ferry pour la saison.
Un bateau vient s’abriter dans le Nook, Elwing…Nous faisons connaissance avec Arthur, son skipper, très sympa. Vivant la moitié de l’année sur Stewart il emmène les enfants des écoles sur son voilier, au contact de la mer et la forêt. Cette fois-ci ses passagers sont des historiens , ils vont à Pegasus à la recherche des traces des premiers colons. Mauvaises conditions, mal de mer, ils seront finalement rapatriés par hélicoptère.
Il pleut, il vente à nouveau. Dans ce cahot une toute petite cigale attérit à bord, une cigale miniature au chant doux comme le froissement d’un papier de soie :
Je ne sais pas s’il y a beaucoup de cigales sur Stewart, mais dans le Marlborough elles annoncent la fin de l’été ; il est peut-être temps de songer à remonter vers le Nord…