Escale prolongée
Nous sommes bien à Lifou, nous y restons finalement plus longtemps que prévu car nous attendons les vacances scolaires pour emmener toute la famille en croisière à Ouvéa… Installés dans la petite marina de Wé nous nous laissons doucement imprégner du bien-être général…Nous avons loué une voiture, Antoine et Solène nous font partager leur quotidien, leur maison remplie d’enfants et d’animaux, rencontrer leurs amis et découvrir leurs coins de balades ou plongée sous-marine…
Ambiance joyeuse, il suffit de traverser la route pour se trouver sur la très belle plage de Luengoni.
Pointe Lefèvre, un joli coin de balade sous-marine.
Merveille de la marina : des bandes de picots bleus travaillent à nettoyer la coque de Kauana. Elle est vite plus propre qu’à l’arrivée ! Les enfants et leurs copains les pêchent.
Aussi grande que Tahiti ou la Martinique, Lifou ne compte que 9 000 habitants , presque autant vivent à l’extérieur. On y parle le « drehu »( prononcer « djehou ») et le français. Environ trois cent kamadras , (prononcer « kamadja »), vivent sur l’ile, c’est à dire des « blancs », essentiellement des français, fonctionnaires de la santé ou l’éducation.
Outre la beauté des paysages et la richesse de la nature on y jouit d’une vie agréable, d’une population accueillante et d’un niveau de vie général confortable.
A côté d’infrastructures et de villas modernes un habitat traditionnel : la case. En paille ou en cocotier, ronde ou carrée, à une ou deux portes, la case sert de chambre à coucher pour toute la famille. Chaude en hiver, fraiche en été, on y fait du feu à l’intérieur…
Equipements scolaires et sportifs:
Centre de voile :
Salle de spectacles:
Médiathèque :
Tournoi de cricket, le jeu national introduit par les missionnaires protestants et dans lequel Lifou excelle…après le foot! N’oublions pas que Karembeu est de Lifou.
L’école de Mané gagne, un voyage à Nouméa est offert, l’avion du retour étant annulé tout le monde reste à l’hôtel, c’est la fête pour les enfants!
Fête de la science, un succès car beaucoup de parents sont venus voir ce que font leurs enfants à l’école:
Un bateau qui dessert uniquement l’ile voisine, Tiga, où vivent une centaine de personnes.
Rémi y accompagne Antoine qui va en consultation :
Antoine est vétérinaire provincial pour les iles Loyauté. C’est aussi bien un travail de praticien que de conseil technique, assistance au développement, à la protection de la faune. C’est surtout une œuvre de missionnaire. Face aux facilités de la société de consommation et aux verrous de la société coutumière il faut avoir une foi solide et beaucoup d’amour pour transmettre les messages d’avenir, biodiversité, écologie, rationalisme… d’autant plus qu’on est déjà au paradis!
Les iles Loyauté n’ont pas subi la colonisation, les Kanaks y vivent sur les terres de leurs ancêtres avec une organisation sociale forte basée sur le lien à la terre et le sens du partage. « Terre de parole, Terre de partage « c’est la devise de la Nouvelle Calédonie adoptée en 2010.
On retrouve comme dans les autres iles du Pacifique la vie quasi communautaire, l’importance des liens sociaux, le système de dons et contredons, la proximité de la nature, les lieux « tabous … Mais en Nouvelle Calédonie ce tissus culturel a un nom, on l’appelle la « coutume » et si dans les autres iles d’Océanie nous en saisissions des bribes, ou si comme en Polynésie il n’est plus que ce petit quelque chose qui fait qu’on ne comprend pas toujours très bien comment fonctionnent nos amis, ici c’est une institution ; une institution avec ses représentants officiels, son tribunal, ses assesseurs, ses lois, plus fortes que les lois de la République, de la science ou de la religion.
Après les événements de 1988 le droit coutumier a été reconnu, il est basé sur l’appartenance à la terre kanak.
Le territoire de Nouvelle Calédonie est découpé en trois provinces : Grande Terre Nord et Grande Terre Sud,et la Province des iles. Les provinces sont divisées en districts qui rassemblent plusieurs clans autour d’une grande chefferie. Lifou compte trois districts. Le clan c’est la famille élargie, ceux qui ont un ancêtre commun, c’est l’unité de base de la société kanak. La « tribu » est une unité créée par les missionnaires puis conservée par l’administration française, comme le « village » au Vanuatu. Un petit chef gère la tribu. Le chef coutumier est le grand chef. Les clans ont chacun un rôle dans la chefferie. Les iles Loyauté ont le statut de "réserve coutumière"
Pour les visiteurs que nous sommes la «coutume » se traduit par une question récurrente: « Chez qui tu es ? ». Quand on répond qu’on est sur un bateau ce n’est pas une réponse, mais quand on précise que notre fils habite à Luengoni, tout va mieux. On ne nous demande jamais ce qu’il fait, nous situer quelque part sur la terre kanak suffit.
Pourtant être les parents du vétérinaire c’est une sacrée carte de visite! Antoine connaît tout le monde. Rémi qui l’a accompagné plusieurs fois dans des consultations s’entend interpeller «Papa! » au magasin Korail.
Des routes, pas de clôture, on peut aller partout alors! Non, exceptés quelques lieux publics répertoriés, on est en propriété privée, propriété du clan. Lorsqu’on veut aller sur une plage, explorer une grotte ou nager vers un récif il faut demander l’autorisation dans la tribu riveraine. Un cadeau peut accompagner la demande, on appelle cela un geste de coutume, cela peut être un tee-shirt comme un billet de mille francs. Pour ma part j’ai du mal à offrir un billet, je préfère un cadeau plus respectueux. L’autorisation vaut protection : on n’aura pas d’ennui. On ne nous le dit pas mais comme on l’avait appris au Vanuatu des esprits malfaisants pourraient chasser les intrus, une manière légitime de garder la maitrise de son territoire et ses ressources…
Antoine et Solène habitent à Luengoni, à une demie heure de route de Wé. Ils ont
choisi de vivre dans une tribu, une véritable immersion dans la culture drehu. Bien qu’habitant une villa assez éloignée du reste de la tribu, ils en partagent les évènements sociaux, les fêtes, et les obligations …
Quand Antoine ramène du poisson il offre le meilleur au chef. Quand Solène récoltera ses premières ignames elle en offrira également. En tant qu’élément accueilli dans la tribu on lui a accordé une parcelle de terre sur le plateau au centre de l’ile. C’est son « champ ». Le soin qu’elle porte à ce bout de terre drehu scelle son intégration dans la tribu. Quand nous sommes arrivés début Septembre c’était le moment de préparer le champ pour les ignames, cela consiste à débrousser un bout de forêt, on coupe et on brûle en laissant juste quelques troncs pour les ignames qui grimpent, on met en terre et on espère qu’il va pleuvoir...pas trop car la pluie déterre…
L’igname est un élément aussi important dans l’alimentation que dans la vie sociale ; C’est la base des échanges et cadeaux à l’occasion des fêtes coutumières, des mariages, des deuils…Tout le monde a son champ. L’agriculture et la pêche vivrière sont les principales activités de Lifou. Le tourisme est discret. Le logement chez l'habitant s'appelle " accueil en tribu".
Une autre activité importante: le bingo. On connaissait le bingo aux Marquises, mais ici c’est une institution. Même les hommes jouent au bingo. Petit ou grand bingo on y passe des heures…
Il n’y a pas d’âge pour participer, cette mamie a 95 ans:
Outre des rencontres nouvelles à la marina avec des navigateurs qui ont posé leur sac, nous revoyons Laurent que nous avions connu aux Marquises en 2002 alors qu’il naviguait en solitaire sur un petit bateau vert. Marié à Drelan, ils vivent à Lifou. Ils viennent à bord, nous allons chez eux, ils ont un tout petit bébé tout nouveau…Moments chaleureux.
A côté de nous à la marina un bateau de charter est sur le départ, il est loué par des gens de Lifou pour une croisière à Anatom, Vanuatu. Une jeune femme kanak m’explique que c’est son premier voyage en voilier, elle est contente de participer mais elle aurait préféré un autre moment : elle a du préparer son champ d’ignames très vite.
Je lui dis : -« C’est bien, maintenant elles sont plantées et on nous annonce la pluie dans deux jours
- Ah non ! me répond-elle, s’il pleut je préfère être là...
Avec elle embarquent un chef et un membre de sa tribu, ils vont retrouver la terre de leurs ancêtres.
Sur le bateau embarquent aussi des enseignants, ils sont en vacances, ils vont distribuer des livres et du matériel scolaire en surplus aux écoles francophones d’Anatom.
Pour la logistique : un skipper et une hôtesse.
En les regardant partir je me dis que tous les paradoxes de l’ile sont réunis sur ce bateau.
Ce sera un très beau voyage…
Et nous, notre Solène aura-t-elle planté ses ignames avant d’aller à Ouvéa?
Les enfants sont en vacances, Antoine est rentré de sa mission aux Marquises, le chien le chat et le cochon sont casés. Pour une dernière soirée nous allons écouter le slameur natif de Lifou, Paul Wamo, l’idole de Gaby…et ça y est, nous partons enfin pour Ouvéa…avec une petite semaine devant nous et une météo pas terrible!