Chez les Ni-Vanuatu
Belle navigation avec 15/20 noeuds de vent de Sud Est, prélèvement de plancton, pêche d’un beau mahi mahi, nous arrivons au petit matin dans la baie d’Anelgouat sur l'île d’Anatom, la plus sud de l’archipel du Vanuatu. Archipel volcanique qui étend ses 83 iles sur 500 kilomètres, abrite environ 270 000 habitants, les Ni Van, réputés pour leur gentillesse et le maintien d’une vie traditionnelle.
Douane, santé, immigration, tout peut être fait à Anelgouat si on a obtenu au préalable l’autorisation d’entrer dans le pays par ce village: Timothy le gendarme est permanent tandis que les services de santé et immigration de Port Vila envoient du personnel en fonction des passages des paquebots et des voiliers.
C'est à Anatom qu'a débuté le peuplement de l'archipel par une vague de migrants venus du Nord de la Nouvelle Zélande, qui se séparèrent alors, les uns allant vers les iles Loyauté et la Nouvelle Calédonie, les autres vers les iles du Vanuatu.
Il y a un an le cyclone Pan avec des vents de 320 kms/heure dévastait l’archipel…Dans les conversations on sent qu’il y a l’avant et l’après cyclone, les dégâts matériels et le choc psychologique sont encore là, on répare.
« Hello! »,«Halo! »,« Bonjour! », ici on parle anglais et français, la langue officielle est le bislama -un créole anglais phonétique-, « Kam tumoro tok tok= viens demain discuter ». Il faut ajouter les dialectes, aussi nombreux que les villages.
Multilinguisme étonnant produit par l’histoire du pays:
En 1906 les colons français et britanniques qui se partageaient ces iles aux terres riches nommées Nouvelles Hébrides par Cook, obtiennent de leurs gouvernements respectifs une protection militaire puis la mise en place d’une administration. Ainsi se constituait en 1906 un condominium franco-britannique qui perdura jusqu’à l’indépendance en 1980, organisation unique au monde, souvent qualifiée de pandémonium… Eglises catholique et protestante se partageaient l’enseignement, aujourd’hui encore on distingue les villages avec école française et ceux avec école anglaise, mais la langue commune et enseignée est le bislama…
Peau très noire et cheveux blonds, cette beauté est dûe à une mutation du gène TYRP1 responsable de la pigmentation, phénomène qu’on ne rencontre qu’en Océanie et qui concerne environ 5 à 10% de la population Mélanésienne.
Alors que nous disions au revoir à Marie, sa mère, apprenant que nous allions à Port Resolution sur l’île de Tanna , nous confie deux barres de fer soigneusement emballées pour son jeune fils qui y vit, puis une enveloppe remplie de billets, car la vie est plus dure là-bas, nous explique Marie, ici on a Mystery island, là-bas pour gagner 100 vatus il faut beaucoup travailler. Cette mission toute en confiance nous vaudra une belle langouste à l’arrivée.
Mystery Island c’est la jolie île au sable blanc qui ferme la baie d’Analgouat, un long récif la protège de la houle du large. Je me régale en balades sous-marine, c’est une réserve! Personne n’habite sur l’île, une petite piste d’aviation y accueille deux avions par semaine. Le matin plusieurs barques emmènent des villageois sur Mystery Island avec machette, paniers et râteaux, ils rentrent le soir au village…
Demain l’île mystérieuse dévoilera ses charmes aux 2000 passagers d’un des 200 paquebots qui y font escale chaque année à raison de deux ou trois par semaine. Une manne pour Analgouat qui en remercie le ciel et le monde entier tout en préservant l’intimité de sa vie de village.
Un coup d’oeil sur ce Disneyland au milieu du Pacifique qui il faut le dire doit être une escale bien agréable pour les croisiéristes.
Nous faisons une belle balade en forêt vers une cascade. Partis tous seuls nous apprécions vite les services de Georges rencontré en route et qui se propose de nous guider. Depuis le cyclone tant d’arbres sont tombés sur le chemin que sans George et sa mâchette nous n’y serions jamais arrivés! Cinq heures de marche, à grimper, sauter, enjamber..une vraie séance d’hébertisme qui me rappelle mon père et son professeur de gymnastique Mr Lope surnommé Antilope!
Georges est sur le domaine de sa famille, il travaille à la petite exploitation forestière qui emmène les grands kaoris vers les scieries de Port Vila. En septembre les orchidées fleuriront la forêt.
Nous quittons Anatom chargés de fruits et mots d’amitié. 20/25 noeuds de Sud Est nous poussent vers l’île de Tanna, connue pour son volcan en activité: Yasur, qui signifie Dieu. Comme Cook et ses marins nous avons vu son nuage rougir en approchant l’île. En activité continue depuis 800 ans il attire des voyageurs du monde entier. La baie de Port Résolution est bordée de sources chaudes et émanations sulfureuses.
Au matin nous sommes entourés par des dizaines de pirogues. Joli spectacle dans le lever du soleil, les pêcheurs attendent à l’arrière de Kauana, discutent pour savoir d’où nous venons, comment nous nous appelons, quand soudain un cri met tout le monde en alerte; du haut de la falaise un guetteur indique un banc de poissons: dans un ballet magnifique de pirogues qui se croisent, nylons qui brillent en contre-jour et rames qui frappent l’eau, tout le monde part poser son filet. C’est la nouvelle lune, la pêche est bonne, c’est de l’aturé, ce chinchard que nous attrapions la nuit en Polynésie.
Il y a un voilier au mouillage, quatre autres arriveront le lendemain.
Stanley nous amène au village, sa soeur Naomi nous accueille, on va saluer le chef Johnson, un autre frère. Deux soeurs de Naomi sont institutrices.Leur père avait fait apprendre le français à 5 de ses enfants et l’anglais aux 6 autres, il avait construit un yacht club pension de famille pour accueillir les voiliers. Il n’y a pas de ressources autres que la pêche, le jardin et ce que les rares visiteurs offrent.
Nous irons aussi dans le village où est l’école française, enfin un endroit où donner des livres et des revues!
Magnifiques bagnans, grands arbres sacrés..
La visite du volcan est très cadrée, avec ticket à l’entrée, spectacle d’une danse rituelle et guides, on grimpe à 400 mètres…
Mais l’esprit de John From ne réside-t-il pas au fond du cratère? John From est le prophète d’un culte qui agita beaucoup ces iles dans les années 40 jusqu’à l’indépendance, le culte «cargo». Ce culte, déjà présent en Mélanésie, peut-être inspiré du spectacle magique des européens débarquant toutes sortes d’objet et aliments, -des «cargo», «chargements»-, depuis leurs bateaux, est basé sur la croyance que les biens matériels viennent du ciel; entités divines dont les occidentaux s’accaparent les bienfaits mais dont les indigènes bénéficieront s’ils savent les accueillir.
Amenés à vivre sur la côte plutôt que dans la forêt pour commercer avec baleiniers et sentaliers, puis organisés en villages chrétiens aux règles strictes par les missionnaires presbytériens, les indigènes souffraient d’abandonner leurs moeurs et savoir-faire primitifs et des mouvements de protestation avaient été réprimés. Tout à coup, du côté de Green Point au Sud de l’ile de Tanna, les églises furent totalement désertées, alors qu' un personnage mystérieux, qui n’apparaissait que la nuit pour s’adresser aux hommes sous l’effet du kava (qui, soit dit au passage, est au Vanuatu beaucoup plus hallucinogène que le breuvage qu’on nous offrait aux Fidji), a commencé a attirer du monde autour de lui. Ce prédicateur, Manahevi, se disait envoyé par le dieu du volcan qui avait changé son nom en John Frum, il annonçait la venue proche d’une vie paradisiaque, une abondance de « cargo » qui rendrait la vie facile pour tous comme ils le méritaient. En attendant ce jour, il recommandait de cultiver ses ignames et boire du kava sans trop écouter les white men…Et voilà que ce jour est arrivé! en 1941 on vit débarquer les troupes américaines avec leurs tonnes de matériel et aliments! On est en pleine guerre du Pacifique, l’armée américaine venait installer sa base dans l’archipel de Vanuatu!
Par la suite on a dit que John Frum avait été envoyé par les américains pour préparer le terrain, même son nom avait été calculé: John Frum devenait John From, tous les GI’s débarquant se présentaient ainsi : ‘ John from America..ou John from Alabama.. ».
Mais dans les iles c’en était assez pour assurer la réputation du prophète de Tanna. Le bonhomme disparut de la circulation, d’autres prédicateurs dont certains se disaient ses fils prirent la relève pour entretenir le mythe. Car, une fois la guerre finie et les troupes américaines reparties c’en était fini de l’abondance. Il fallait attendre son retour! Le culte de John From a perduré dans un mouvement nationaliste pacifiste anti-blanc, maintenant récupéré dans un parti politique à tendance verte et surtout c'est devenu une attraction touristique. Nous n’assisterons pas à une des manifestations dans lequel les adeptes défilent en tenue militaire américaine mais parfois on se demande si les bannières étoilées et croix rouges que quelques cases arborent sont un témoignage de l’aide humanitaire très présente dans le Vanuatu ou un signe d’appartenance à ce mouvement!
Quittant Tanna nous faisons escale à Dillon’s bay, sur l’ile ErroMango. Une grande baie ouverte autour d’une rivière où les femmes lavent le linge.
David vient nous voir avec sa pirogue rouge; charmant, parlant un français impeccable; on échange du lait contre des papayes, il nous parle du cyclone, du bon temps avant l'indépendance lorsque l'école était gratuite jusqu'au bac et
Nous sommes invités aux festivités d’adieux à un groupe de jeunes missionnaires de l’association YWAM, Youth with a Mission, dans le village depuis 6 semaines. Gens très jeunes, illuminés par leur foi et l’expérience qu’ils viennent de vivre, leur mission est la prière, ils nous paraissent des extra-terrestres…Le bateau affrêté par cette organisation internationale les attend au mouillage, tout le village est là pour assister au départ.
Il faut préciser qu’il y a sept religions à Dillon’s bay, même des musulmans.
Nous voici à Port Vila où des amis Australiens rencontrés il y a quelques années en Micronésie nous attendent; corps-mort devant la villa et champagne au frais, un autre Vanuatu!
Et je réservais pour la fin la plus belle nouvelle: notre fils Antoine et sa famille nous rejoignent la semaine prochaine! il faut dire que Lifou est encore à 400 kms et qu’à la vitesse où nous avançons on commençait à se demander quand on arriverait à se voir!