Au calme
Rémi a attrapé la dengue, forte fièvre qui dure plusieurs jours avec des douleurs partout; il est crevé… Du coup on dirait que tout est malade à bord: l’ordinateur ne répond plus, le chargeur d’électricié ne charge plus, le GPS n’a plus de batterie…or le doliprane ne soigne pas tout!
Nous partons dans les mouillages des iles Mamanuca, il y fait moins chaud qu’à la marina.
Contact sympa avec les pêcheurs. Pas de glace, ils fument le poisson pour le conserver deux ou trois jours jusqu’à la vente, ça nous rappelle les saumons d’Alaska.
On pensait avoir trouvé un mouillage tranquille sur une ile déserte, l’le Navadra, plutôt les iles Navadra car il y a quatre ilots : eau claire, coucher de soleil sublime, la vraie carte postale.
Un matin on voit débarquer des dizaines de personnes avec plein de matériel, groupes électrogènes, caméras, tronçonneuses, planches…C’est une équipe qui vient tourner une saison de Survivor, émission de téléréalité présente il y a quinze ans dans la baie d’Hakata aux Marquises et pour laquelle Rataro avait composé la musique…
Les hélicoptères survolent l’ensemble, on pense à Florence Arthaud et les autres disparus dans l’accident en Argentine…
Sigri, un des conducteurs de bateau, aime bien venir boire un café à bord de Kauana; de là il surveille son équipe qui construit un ponton pour les besoins du tournage.
L’ile est dite sacrée, nombre de légendes y prennent place, c’est ici qu’ont débarqué les premiers fidjiens.. La terre appartient à la famille de Sigri, elle fait partie du village de Vuda où est la marina, c’est la septième fois qu’ils louent leur ile pour des tournages sur ile déserte : « Good business » nous explique-t-il tout en racontant que ceux qui essayent de rester la nuit sur l’île sont visités par les nanitu, les esprits des morts qu’on appelle les tupapau en Polynésie. « Tu crois aux nanitu ? – Non, on ne croit pas aux nanitu…ce sont des esprits… ils viennent la nuit seulement… »
Une des spécialités touristiques des Fidji c’est la plongée avec les requins. Un copain nous a montré une vidéo prise à Beqa, un atoll en face de Suva, où on voit, au milieu de dizaines de requins et plongeurs, le plongeur fidjien qui nourrit à la main les requins tigre…Les publicités pour ce gendre d’excursion ne manquent pas.
Y aller ou ne pas y aller ? ça me tente beaucoup, Rémi pas du tout…L’expérience est unique, pas dangereuse pour le spectateur, mais quelque chose me gêne quand même…Pour ou contre la protection des requins, écotourisme versus élimination des prédateurs, le débat est ouvert…
D’un côté la défense de l’écotourisme requin a ses arguments : mieux connaître ces animaux et l’approche qu’en font les locaux, encourager l’activité lucrative qui en découle pour eux (un requin vivant rapportant plus qu’un requin pêché) ; éducation des baigneurs: s’il y a plus d’accidents dûs aux requins c’est parce qu’il y a plus de gens dans l’eau, il faut donc les éduquer etc..
D’un autre côté qui dit tourisme requin dit shark-feeding, cette pratique modifie leur comportement : ils deviennent plus dangereux que par nature; la diminution des ressources de la mer les amène près des côtes, ils ont faim et moins peur des hommes…
Les observations scientifiques montrent que ces arguments doivent être nuancés selon les espèces.
En fait ce qui me gêne c’est le côté jeux du cirque fosse aux lions : le danger demeure et venir regarder un gars risquer sa vie pour un peu d’argent ne me plait pas. De plus, comme je raconte ce que je fais, j’imagine que si d’aventure je participais à une telle plongée je perdrais toute chance d’avoir mes petits-enfants à bord!
Je me régale donc en snorkeling et ramène quelques bouffées de poésie récoltée sur le récif.
Erection d’holoturie! en période de reproduction ces concombres de mer habituellement si flasques au fond de l’eau, se dressent et lâchent leurs ganètes…
Rémi se remet doucement de la fièvre, retour à Vuda Point pour organiser notre départ vers le Vanuatu.